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Quand il faut tailler une place sur-mesure dans la société à ceux qui y ont droit mais qu’on aime contenir dans ses marges, Dorian se retrousse les manches et se frotte les mains. Après l‘Itinéraire et les sans-abris, les Compagnons de Montréal et la déficience intellectuelle. Dorian aime rendre glamour les causes boudées. Chargé de communication d’une équipe à l’organisation fièrement horizontale de plus de 50 collègues, des trieurs de vêtements aux manutentionnaires en passant par les participants des activités du centre de jour, les intervenants mandatés par le CRDITED1 et la direction, il me décrit avec enthousiasme les défis et accomplissements de la structure montréalaise qui offre hébergement, formation professionnelle et activités à plus de 120 personnes vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme.

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Alexandra et Amélie renchérissent tout sourire dehors et font encore monter d’un cran l’énergie contagieuse de la pièce. Alexandra s’en va aujourd’hui-même et laisse la main à Amélie, après quelques années qu’on devine aussi riches qu’exigeantes à la coordination de F.R.I.P, le service de Formation, Récupération et Initiation Professionnelle des Compagnons qui gère deux boutiques d’occasion. Mais loin de laisser paraître une certaine fatigue motivant son départ, elle parle, volubile et passionnée, de cette mission qu’elle a manifestement embrassée avec beaucoup de cœur : valoriser le handicap sans chercher à le nier ou à le réduire, donner à ceux qui le vivent un rôle adapté à leurs compétences, et démanteler patiemment les barrières physiques, sociales et mentales qu’on a érigées pour les tenir à distance de notre confortable et prétendue normalité.

Cet humanisme moteur vient avec une twist écolo. Éco-socio-responsable, voilà qui résume bien l’esprit de la maison. « Tout ce dont on a besoin existe déjà, pourquoi acheter neuf? ».12322520_839609629490639_4689711209617409395_o Bien d’accord avec toi, Dorian. Réduisons les déchets et le gaspillage (sur le grand gâchis alimentaire, voir le frigo des ratons) en réaffectant autrement les ressources remises dans le circuit : les vêtements irrécupérables sont donnés au Support2 qui va recycler les tissus, certains meubles vont être rafraîchis par des professionnels pédagogues qui transmettent leurs techniques aux bénéficiaires de F.R.I.P puis vendus dans la boutique de jolies vieilleries l’Annexe, inaugurée début mai et qui séduit instantanément avec son vélo suspendu et sa marchandise vintage à prix dérisoires, tout le reste en bon état sera exposé lors du bazar mensuel et de la grande vente annuelle.

boutique vintage

F.R.I.P, pour les riverains du parc Molson, c’est cette superbe mosaïque pleine de miroirs avec un petit air de Gaudi au pied de l’église Saint Marc, et le drôle de jardin urbain dans de grands bacs élégants. C’est cette valise rétro posée au bord du trottoir pour vous inviter à profiter des prix ridicules du bazar ou des samedis à 50%. C’est ce croque-livres pionnier qui depuis a fait des petits. Ça, c’est ce qui attire l’œil du premier coup. En faisant quelques pas, on découvre les deux boutiques décorées de guirlandes de fanions, de lettres de scrabble qui épellent la joie de vivre. 12983835_914072528711015_5228063487004792204_oCe qu’on ne voit pas, c’est ce qui se déroule dans les méandres du sous-sol de l’église. À F.R.I.P, ça turbine. On travaille fort, on arrive à l’heure, et on reçoit un salaire pour les tâches qu’on exécute avec supervision mais aussi une grande autonomie. Les 30 000 pieds carrés de la bâtisse sont pleinement exploités. Ça s’exclame, ça sent la cantine, ça brasse des tonnes d’affaires réceptionnées, triées plutôt trois fois qu’une, étiquetées avec minutie, stockées, exposées en rotation selon un système hebdomadaire de couleurs que maîtrisent parfaitement les employés. Vous pouvez revenir toutes les trois semaines, le petit magasin aura renouvelé tout son stock. Et pas n’importe lequel! On trouve des merveilles chez F.R.I.P, et pour quelques dollars on peut répondre adéquatement à la demande perpétuelle des petits pieds qui grandissent à un rythme effréné ou des mitaines solitaires en mal de compagne. 13086905_921460327972235_2485300539928520098_o0,25 à 0,50$ le morceau lors du bazar mensuel (tous les premiers mercredis du mois), qui dit mieux? Pas grand monde, et la clientèle ne s’y trompe pas, en déferlant avec fidélité pour remplir de grands sacs ikéa bleus.

En plus de compétences relationnelles indéniables, les trois nanas de F.R.I.P ont du pif, ça crève l’écran de leurs pages facebook et crée toute une ambiance qui ravira hipsters et familles du coin. En renfort de Dorian, aux communications pour les Compagnons, une graphiste leur a bénévolement trouvé tout un logo pour l’Annexe, et les artistes de Nayan ont joué de la truelle pour attirer l’oeil du chaland avec cette mosaïque éblouissante– c’est réussi. 11937442_986754708071450_1408964329136973308_nPar ses boutiques tendances et son message écolo, Compagnons de Montréal a fait peau neuve. On est loin de l’image un peu miséricordieuse de la mission de charité catho qui prenait sous son aile les orphelins de Duplessis dans les années 60. L’organisme laïc est aujourd’hui porté par une équipe jeune et inspirée qui ne doute pas une seconde du potentiel de tout ce beau monde, et même si l’état de symbiose doit être parfois plutôt furtif dans les couloirs et qu’encadrer cette joyeuse masse laborieuse ne doit pas être de tout repos, l’énergie déployée par les uns et les autres brouille les cadres normatifs hérités au point de ne plus trop savoir qui bénéficie de quoi. Nous, des petits prix et des merveilles qui sortent de l’atelier de F.R.I.P? Les résidents et employés (le plus souvent dissociés pour multiplier les occasions de contact et éviter le repli sur la communauté créée dans les résidences) qui nous prouvent haut et fort au fil des expositions artistiques, des marchés artisanaux3 ou de mode qu’ils sont talentueux et capables de répondre aux demandes de notre économie, pour peu qu’on accepte de leur faire une place adaptée? Qu’on se le dise : le handicap peut être sexy, en plus d’être productif et créatif.12671967_986743994739188_1190716766774595557_o

F.R.I.P: 2602, Beaubien est

L’Annexe: 6415, 1e avenue (à 100 m de FRIP)

1Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement de Montréal, qui oriente les personnes concernées vers les résidences des Compagnons et /ou vers le dispositif PAAS action d’Emploi Québec (Programme d’aide et d’accompagnement social).

2Fondation de la déficience intellectuelle : grosses boîtes bleues avec un cintre disséminées un peu partout en ville, qui récupère et trie vos vêtements usagés.

3Ne ratez pas le marché des deux mains au mois de décembre, une occasion parfaite de finaliser vos cadeaux de Noël en rencontrant les artistes discrets du quartier.

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