Soyons honnête : je ne l’ai pas quitté définitivement, à mon grand regret, car je continue d’en être captive professionnellement, la plupart d’entre vous n’étant pas en train de lire ces mots autrement (je vous invite d’ailleurs si ce n’est pas déjà fait à vous inscrire directement à ce blog pour recevoir mes articles dans votre boîte courriel). Mais je n’y suis plus active personnellement, ni même passive lectrice, et ce geste de sevrage volontaire s’intègre dans une démarche de désencombrement de ma vie et de révision de mes priorités.
Facebook a du bon, et je suis persuadée que comme moi, vous avez souvent énuméré mentalement les raisons justifiant le temps que vous y passez. Nous en avons plein, et de bonnes : pour rester en contact avec ceux qui sont loin dont on ne voit pas grandir les enfants (ni eux les nôtres le cas échéant), pour profiter de la sélection médiatique de nos amis et collègues qui partagent les mêmes intérêts que nous, pour consulter l’expertise de nos communautés de pairs sur telle ou telle question, pour faire tourner rapidement et largement une annonce, une sollicitation, une pétition, pour se mobiliser, pour avoir un répertoire facile de contacts dont on n’a pas les autres coordonnées, pour alimenter nos centres d’intérêts ou enrichir nos compétences, pour diffuser avec fierté les progrès de notre génie précoce de deux ans ou nos glorieux faits d’armes, pour élaborer tactiquement notre personnalité publique, pour se rassurer sur notre popularité et notre cercle social, alouette!
Qui n’a jamais pensé que sans Facebook, il n’aurait pas profité de telle opportunité d’emploi, de telle annonce immobilière, qu’il n’aurait pas été porté à approfondir ces liens avec untel, ou qu’il n’aurait pas été informé de la naissance du 3e de Chose? La masse inouïe d’informations que FB nous délivre (en fonction d’algorithmes complexes que beaucoup d’entre nous ignorent, et qui opèrent une sélection selon nos goûts analysés par plein de petits mouchards qu’on nourrit, on l’oublie souvent) en contient des nécessaires et des pertinentes, certes.
Mais prenons le problème par son côté obscur, via la notion de coût d’opportunité¹ : de quoi me prive Facebook? À quoi (et souvent, à qui) est-ce que je renonce en l’utilisant? La liste de mes réponses a eu tôt fait de m’édifier et de me faire choisir le retrait. Donc, je quitte, car :
- tout d’abord, réaliser que j’échoue depuis plusieurs années à transformer mes velléités de départ en réalité est un constat d’aliénation qui me pousse à trancher dans le vif. Je ne peux supporter de voir mon libre-arbitre diminué de la sorte. FB doit rester un outil à l’usage ponctuel, circonscrit, et optionnel (si notre profession nous en laisse le choix, il n’est pas question de sombrer dans un déni des pratiques contemporaines) et non devenir un besoin, une routine, un loisir.
- FB se fait un fric fou sur mon dos d’usagère. Impensable pour la décroissante que je suis. Mes données sont collectées et utilisées avec mon assentiment. Horreur.
- mes enfants n’auront qu’une seule fois trois ans et huit mois et je ne veux pas perdre une miette de leur développement. Chaque minute devant mon écran est une de moins consacrée à les observer avec ravissement, à jouer avec eux pour qu’ils sentent la valeur qu’ils ont à mes yeux, à répondre à leurs questions, à en prendre soin.
- leur développement sera bien plus sain sans FB à la maison : je suis très sensible à la question de l’exemple, et l’idée qu’ils puissent intégrer la consultation d’un fil d’actualité comme étant une des activités quotidiennes auxquelles se livrent les adultes est dégoûtante, tout comme la vision d’un parent trop absorbé par son écran pour être attentif à la demande ou au sourire de son enfant.
- je ne peux accepter que FB soit ma source de distraction. Je renforce ma satisfaction et mon estime personnelle en m’adonnant plutôt à la lecture, à la couture, à l’écriture, bref, à toutes ces passions qui me nourrissent et que j’ai longtemps regretté de ne pas avoir le temps de pratiquer, plutôt qu’à un écran en mouvement qui me vide et me laisse avec un vague sentiment de honte et des remords.
- de la même manière, FB ne peut être ma source d’information, oh non. Pour 10 sujets (entre)vus, un seul va probablement m’intéresser. Je préfère mille fois choisir moi-même les médias qui m’instruisent avec pertinence et fiabilité. Là encore, le coût d’opportunité est parlant : mon espace mental n’est pas illimité, et il est précieux, autant choisir ce qui y entre et le meuble.
- FB a un aspect profondément aliénant, et pas seulement dans la force d’attraction qu’il exerce sur nous : il modifie notre structure de pensée en nous proposant une échappatoire facile (voir point précédent), et en dilapidant toujours un peu plus notre maintenant misérable capacité de concentration. Notre cerveau est éclaté entre tous nos onglets ouverts et cette dissémination mentale m’épuise. Je me souviens avec nostalgie et effroi d’avoir été capable d’étudier plus de 4h de suite pendant mon ère pré-numérique à moi, sans lever le nez de bouquins aussi rébarbatifs que « la vie politique française sous la IVe république » ou « droit constitutionnel américain » (oui je me suis farcie ce type de littérature).
- enfin, en réponse à la raison la plus souvent évoquée des « nouvelles de ma communauté » pour justifier notre addiction, je réponds maintenant, au risque d’en fâcher certains, que je n’ai sûrement pas besoin de rester en contact avec autant de gens. Tout comme une journée n’a que 24h, notre espace mental des limites, ma vie sociale a besoin d’une certaine concentration et redoute la dilution. Les amitiés vont et viennent, et je défends la qualité plutôt que la quantité. FB m’a permis de me rapprocher de personnes que je n’aurais jamais côtoyées autrement, et j’en suis heureuse, mais je reste toujours plus ravie de recevoir un long courriel d’un ami proche, un coup de téléphone, un repas partagé ou, frisson d’extase, une vraie lettre manuscrite, plutôt que de cumuler les likes, les souhaits d’anniversaire , ou les ping-pong de bribes de dialogue dans cette interface instantanée qu’est la messagerie FB (habile moyen de nous faire revenir encore et encore). À bon entendeur, salut : ma boîte courriel régulière, ma maison ou mon téléphone vous feront un chaleureux accueil.
¹Wikipédia : Le coût d’opportunité (de l’anglais opportunity cost) ou plus rarement coût d’option, coût alternatif, coût de substitution ou coût de renoncement ou « coût de renonciation » désigne la perte des biens auxquels on renonce lorsqu’on procède à un choix, autrement dit lorsqu’on affecte les ressources disponibles à un usage donné au détriment d’autres choix.