Encore un article enragé d’impuissance. J’aurais pu reprendre Palestine en lui donnant le nom de son voisin, sans changer d’un pouce son contenu. Mes mots sont tellement vains, mais mon silence serait coupable d’indifférence. La Syrie, gouffre sans fond de notre désengagement. Alors que le dernier pédiatre d’Alep vient de mourir dans les décombres de son hôpital, un mois avant de rejoindre sa famille réfugiée en Turquie, il est urgent de prendre deux minutes dans notre journée pour signer cette pétition d’Amnesty demandant l’arrêt des bombardements des hôpitaux. De notre désertion, en tant que soi-disant puissances occidentales. Ligotées par nos jeux d’alliance aussi pathétiques et incapacitants que l’étaient ceux du début du XXe siècle et qui ont mené aux guerres mondiales. Mais quel degré dans l’horreur doit-on atteindre pour se décider à intervenir, à jouer nos cartes économiques et politiques en plus d’une assistance humanitaire solide et immédiate, pour arrêter le massacre? Celui des populations comme celui de ce qui fut patrimoine de l’humanité. À quoi bon l’avoir nommé ainsi si c’est pour se contenter de pleurer sa destruction, sans lever le petit doigt?
La guerre en Syrie me donne la nausée comme jamais, car j’estime avec mon tout petit recul de trois décennies qu’on a ouvert les vannes à toutes les atrocités. En Bosnie, le siège de Sarajevo avait ému la population européenne, à moins de 1600km de là. On s’était insurgés, on avait brandi les menaces et les sanctions, on avait déployé des troupes au sol, l’OTAN avait contribué à régler le conflit, aussi contestable fut son immixtion dans les affaires post-yougoslaves. Mais au moins, les émotions avaient conduit à des actions (plus ou moins) concertées, même critiquables, même avec retard. Les intérêts des puissances étaient-ils moins intimement liés aux belligérants? Possible. Les tractations politiques qui président à l’action ou à l’inaction sont-elles encore liées à ce qu’elles entendent de leurs opinions publiques? Ou ces opinions publiques sont-elles devenues massivement blasées au point de valider par leur silence les abominations que les rares journalistes et ONG syriens nous relaient au péril de leur vie?
Pourtant, si les crimes épouvantables qui sont commis là-bas ont l’air suffisamment lointains pour qu’on puisse s’en laver les mains, le terrorisme qui en est une émanation nous touche dans le confort de nos villes riches. Mais même cette répercussion évidente des conflits moyen-orientaux n’aura pas raison de notre immobilisme. Les habitants de Madaya ou de Daraya peuvent bien mourir de faim ou intoxiqués par la chair de chat mal cuite. Le sort du petit Aylan Kurdi aura ému le monde entier au point de nous faire accepter un peu plus généreusement de partager nos richesses obscènes avec quelques milliers de réfugiés triés sur le volet (et dont l’accueil ne fait même pas l’unanimité), mais on se fiche d’interroger les racines du mal, de l’exil forcé de ces hordes de rescapés. Le petit Liban étouffe d’héberger les migrants, de Palestine puis de Syrie, mais nous, protégés que nous sommes par nos mers et notre océan, nous sommes juchés sur nos trésors dont on est bien avares.
Mon impuissance me terrasse, mais la déplorer publiquement est un devoir absolu.
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