La pluie qui fouettait violemment les vitres et les noyait de grandes coulées obliques ralentit puis s’arrête avec le train. Le quai fumant d’humidité nous reçoit. On secoue nos corps engourdis. Je me retourne sur les paumes et les nez pressés contre la fenêtre, ceux-là poursuivent jusqu’à Moscou. Les proportions du hall de gare, avec ses colonnes de marbre dont je ne peux même pas embrasser la circonférence, sont démesurées. Décalées. On ne se bouscule pas à Petrozavodsk. Continuer la lecture de Chronique de Petrozavodsk
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Chronique insulaire
Le jeune type n’en démord pas et cherche le soutien de ses amis, qui ne bronchent pas. Sa Grande Guerre Patriotique et notre Seconde Guerre Mondiale, ça ne peut pas être la même, et si notre jeune compagnon bavarois parle si bien le russe, c’est parce que l’URSS a longtemps occupé l’Allemagne. Les repères temporels et géographiques se télescopent manifestement dans sa tête. A l’Ouest, les derniers témoins de la guerre, quel que soit le nom qu’on lui donne, s’éteignent avec leurs souvenirs. En Russie, elle a toujours le monopole de l’héroïsme et du tragique. Son évocation persistante fait beaucoup plus de bruit que les manœuvres périodiques dans le Caucase. La victoire et son coût, vingt-cinq millions de morts, font régulièrement irruption dans le discours, et nourrissent le nationalisme ambiant. Continuer la lecture de Chronique insulaire
Chronique du train
Premier volet d’une trilogie russe, composée au gré de mes pérégrinations dans ce pays cher à mon coeur. Quelque part, l’âme slave me nourrit, d’une forêt boréale à l’autre.
A chaque wagon son contrôleur. Je jauge celui qui sera le gardien de notre nuit. L’espoir retombe lorsque le visage est aussi juvénile que celui des lycéens qui poussent des cris de guerre sur le quai. Leurs sacs bardés de piolets les dépassent d’une tête, probablement un trek dans la péninsule de Kola. Mais notre officier affiche une certaine fermeté et, sur le poing gauche, le tatouage des prisonniers russes. Les gangs de détenus gratifient ainsi leurs membres d’une sorte de sceau carcéral, propre à chaque bande : signes cabalistiques, volutes celtiques, devise cryptée…deux kopecks se chevauchent entre le pouce et l’index de notre homme. Continuer la lecture de Chronique du train