Nous y sommes. La crise climatique tenait déjà nos nerfs bien occupés, on n’avait pas vu venir la pandémie. Pourtant, les historiens, démographes et épidémiologistes savent que chaque siècle s’en claque une belle. Personne, au Canada, peut nous transmettre ses recettes de résilience. La crise du verglas risque d’être de la petite bière par rapport au coronavirus. Les réfugiés auraient beaucoup à nous apprendre, si on ne les laissait pas croupir si nombreux dans des camps insalubres où il va faire des ravages.
Nous y sommes, donc, en état de siège, à attendre l’œil du cyclone, et nos enfants aussi. Impossible de les épargner : un nombre croissant d’entre nous est avec eux 24/7, pour une durée indéterminée (non, ça ne durera pas deux semaines) et pas moyen de les refourguer aux grands-parents, quand ceux-ci, en temps normal, sont proches et disposés à nous seconder. Les réseaux sociaux sont en surchauffe. Ils sont saturés de courbes à aplatir et on rivalise d’humour pour représenter le défi du télétravail avec des enfants à la maison, qu’il faut occuper, éduquer, alimenter et exhorter à laver leurs mains à répétition (vue leur propension à se mettre les doigts dans la bouche, ce n’est pas du luxe, et on prie pour que le maudit microbe n’entre jamais chez nous car il en aura fait le tour en moins de deux). On alterne entre les modélisations terrifiantes, les memes à base de papier toilette et les infographies pédagogiques pour bien se confiner. Il y a bien quelques dénis résiduels. Mais pas grand chose sur la manière dont on peut accompagner émotionnellement nos chérubins dans ce nouveau désordre mondial.
Pourtant, ils écoutent ce que nous écoutons. Voient ce que nous regardons. Enregistrent nos conversations, inquiétudes, appels d’une oreille, se chicanant hardiment de l’autre. Alors contrairement à ce que j’ai pu voir passer, et qui est à démentir au plus sacrant, il faut aborder le sujet avec eux et non attendre qu’ils l’amènent. La crise n’est plus exotique et son commentaire est omniprésent. Elle les frappe de plein fouet en bouleversant leur routine, leur entourage, leurs relations, leurs apprentissages. Impossible de s’en sauver, ils nagent dedans autant que nous et sont les premiers spectateurs de nos angoisses. Comment faire, quand on patauge tous dans le néant, y compris tous les gouvernements de ce monde à l’exception des Chinois, des Coréens et des Japonais qui domptent SRAS et COV avec un autoritarisme inconcevable ici, pour trouver les mots justes et se montrer digne de notre fonction parentale? Quelques pistes nées de mon expérience professionnelle avec le terrorisme et de mon quotidien, aussi submergé que le vôtre, de maman de trois jeunes lardons :
Flairer leur état émotionnel.
Pour les plus petits, il va falloir raffiner ce à quoi vous êtes rompus : les décoder. Sommeil chaotique, bébé crampon, digestion perturbée vous indiquent sans risque d’erreur qu’il se passe de quoi. Les bambins préscolaires verbalisent un peu plus, mais demandent encore des talents d’interprétation. Les drama queen intensifient le show? Les jouets revolent plus qu’à l’accoutumée? Vos enfants vous paraissent déchaînés même après dix tours du bloc à compter les maisons et à se courir après avec des bâtons? Bingo. Les enfants du primaire vous faciliteront l’accès à leur psyché avec le langage si vous les questionnez simplement. Je vous laisserai par contre gérer vos ados, vous les connaissez bien mieux que moi.
Leur demander ce qu’ils savent, au juste.
Vous pourriez avoir des surprises. Ma fille de 4 ans nous a avoué candidement qu’elle pensait son rhume au centre de tout ce chaos, associant nos recommandations d’hygiène de base à sa situation particulière (on s’entend, l’état chronique de morve d’un enfant en garderie).
Valider, reformuler dans des termes adaptés à leur âge, rassurer.
Sans mentir, il vous faudra reconnaître leurs émotions et leur traduire la situation dans des mots qu’ils sont capables de comprendre. Puis la priorité va être de les rassurer. On peut leur dire que c’est vraiment spécial, toute la famille est réunie pour un temps et on en profite. Ces mesures de prévention vont permettre de nous adapter à un virus pas trop méchant qui chamboule le quotidien. C’est inhabituel de se retrouver tous ensemble à la maison/d’être gardé par un parent/d’être un peu esseulé à la garderie qui accueille les enfants du personnel médical/de ne plus voir les grands-parents, mais c’est une situation particulière qui va passer. Comme c’est nouveau, les parents apprennent aussi à revoir leur organisation, et ça peut être un peu stressant. Pour les plus petits, répondre aux besoins de proximité qu’ils expriment et conserver précieusement leur routine va beaucoup les aider.
Doser le degré de détails.
Inutile d’affoler un petit de deux ans en lui donnant le taux de létalité du N-COV-19. Vous pouvez expliquer qu’il s’agit d’un nouveau virus qui se répand rapidement parce que les gens prennent beaucoup l’avion et se tiennent proches, qui n’est pas dangereux pour la majorité des gens mais qui peut être plus grave pour des personnes très âgées, et que le meilleur moyen de protéger ces gens-là est de faire tous très attention de ne pas l’attraper. Non, on ne va pas tous mourir, loin de là, et on fait de la prévention en évitant de multiplier les contacts entre les gens. On peut leur rappeler leur dernière grippe (qui fut aussi la vôtre, hein) pour rendre concrètes les possibles conséquences d’une contamination.
Profitez-en pour glisser un petit cours de bio 101 sur la propagation des virus, le lavage de mains, les petits soldats du système immunitaire, ce sera une utile révision pour nos petits écoliers souvent bien plus sensibilisés que leurs aïeux à tousser dans leur coude. Vous pourriez traiter le sujet de la manière la plus interactive possible pour qu’ils aient l’occasion de se sentir compétents en exposant leurs savoirs, leurs idées pour éviter la contamination ou pour rendre l’isolement agréable, leurs réflexions. Plus ils participeront avec leur petit bagage, et moins ils se sentiront impuissants.
S’il est raisonnable d’arrêter de faire des plans pour les prochaines semaines, ce n’est pas la peine de commencer à les préparer psychologiquement à revoir leurs vacances d’été. Il y a beaucoup de données que nous ne savons pas, oui, mais l’essentiel, nous le savons, et il faut le leur répéter : ils sont en sécurité dans leur maison avec vous. C’est surtout une question d’organisation pour les adultes plutôt qu’un danger pour eux ou leur famille.
Expliquer, reformuler, rassurer. Recommencer.
La situation évolue très vite et leurs représentations aussi. Sans insister sur la courbe exponentielle qui est freakante en soi, répétez-leur qu’ils sont en sécurité avec vous et qu’à part changer leur emploi du temps, cet épisode ne les menace pas. Refaites un coup de sonde au fil des jours. Écoutez leurs inquiétudes et continuez de rester à l’écoute de leurs comportements. Vous pourriez mettre en valeur les effets positifs de cette période hors-norme : se sentir solidaires les uns des autres et notamment des travailleurs de la santé qui se donnent à fond pour nous tous, exercer sa responsabilité sociale, réaliser qu’on vit ensemble, en famille mais aussi dans la société et dans le monde, une occasion historique de revoir nos fonctionnements et nos priorités (pour les plus grands, bien sûr. Vos petits vont surtout se réjouir de vous avoir tout à eux).
Restreindre l’exposition médiatique.
Ils n’ont pas besoin de voir la courbe s’envoler ni les médecins épuisés. Si la métaphore guerrière est peut-être justifiée dans une stratégie de com visant à faire embarquer les dilettantes, elle va juste augmenter leur angoisse et nourrir une perception erronée du danger. Le décompte quotidien des cas et des pertes est terriblement anxiogène, gardez-le pour vous et surveillez vos échanges avec les autres adultes. Peut-être gagneriez-vous à vous en sevrer aussi un peu pour être moins accaparés émotionnellement et plus apte à contenir les affects de vos petits.
Maintenir un contact étroit avec les proches.
Appeler ceux dont vous êtes séparés : les grands-parents, les cousins, les copains. Skype et le téléphone seront vos amis, comme les podcasts pour enfants et c’est pas sorcier. Ne vous mettez pas trop de pression DIY sur les épaules, nourrir la horde et vous garder tous sains d’esprit sera déjà un beau défi. Je vous invite pour vous y aider à arpenter quotidiennement cour, ruelles et rues allégées de leurs autos, et à garder une routine carrée pour tout le monde.
Accrochez vos ceintures, on plonge, et ça va secouer.