Aux bains publics

À la faveur d’une grève interminable dans les écoles du Québec, mettant en péril ma santé mentale, j’ai renoué avec la natation. Elle n’est pas très fringante, la piscine du bout de ma rue. Les vestiaires sont aveugles et le savon rose coule le long du mur. Le brun est omniprésent, les joints douteux. Des carreaux manquent aux plinthes, les pentes sont ratées, ou affaissées par l’usage – les flaques sont partout. Continuer la lecture de Aux bains publics

Antigone 2.0

Intemporelle Antigone qui oppose ce que son cœur lui dit à la justice froide des hommes. Lecture adolescente qui nourrit la flamme radicale de cet âge aussi versatile qu’obstiné. Engagée à défendre droits humains et solidarité intersectionnelle, Sophie Deraspe (le profil Amina, les loups) transpose cette icône d’une justice ancrée dans l’humanité de notre condition dans nos quartiers malmenés par l’intolérance et le repli identitaire. Elle réalise, co-scénarise, dirige la photo, et participe au montage de son film. Nul doute, elle le porte en elle, et je gage que c’est l’investissement passionné de son auteure qui embrase l’œuvre. Dans un paysage cinématographique aux statistiques étourdissantes de sexisme (4% des films sélectionnés à Cannes ont été réalisés par des femmes, 23% des films ont pour personnage principal une femme, 7% de réalisatrices à Hollywood…), avec trois femmes, maghrébines de surcroît, en tête de distribution, cette Antigone 2.0 fait oeuvre utile sur le front féministe. Continuer la lecture de Antigone 2.0

Sauvagines

Mars 2013. Dans un cercle de doulas en devenir, mon premier né au sein, j’écoute Gabrielle nous annoncer qu’elle veut être la sorcière du village. Celle qui hache le plantain pour en faire un baume, suspend la marjolaine tête en bas, et infuse dans la vodka les racines de l’échinacée. Chahutée entre le boulevard Saint Joseph et le Bas-du-Fleuve, elle hésite. Va faire un tour en camper dans des communautés agricoles inspirantes et des Rainbow gatherings. Tranche pour le bois. Seule. Continuer la lecture de Sauvagines

Nouveau Projet & Cie

Atelier 10 accomplit un tour de force. Ils sont quatre, et ils viennent à bout d’une quantité monstrueuse de tâches sans virer fous – c’est en tout cas l’impression que j’en ai eue, mais je peux imaginer que les neurones leur frisent en période de bouclage. Atelier 10 édite Nouveau Projet, un magazine assez consistant pour nourrir mes neurones pendant quelques semaines mais suffisamment dégraissé pour ne pas les polluer avec du contenu lénifiant, publie à haute cadence des livres qui dépassent pour la plupart les 5000 exemplaires vendus (seuil du bestseller au Québec), propose des baladodiffusions et accepte en sous-traitants la production de quatre magazines et d’autres commandes en édition. Continuer la lecture de Nouveau Projet & Cie

Chasseur de perles

Il y a des rencontres décisives. Bien plus tard, on prend la mesure du tour qu’elles ont imprimé à nos vies, et on reconnaît le moment, et la personne. On se rappelle longtemps et avec gratitude ce prof qui a cru en nous, qui a extirpé un talent ignoré de la médiocrité dont on était presque arrivé à se convaincre, qui a souligné la beauté dans la longue et ingrate traversée adolescente. Continuer la lecture de Chasseur de perles

Faut qu’on se parle

La cuisine, chez nous, ce n’est pas seulement l’endroit où on prépare la nourriture, c’est aussi un salon, une salle à manger, un cabinet de travail et une tribune. […] Des idées et des projets fantastiques naissaient dans ces cuisines!  Svetlana Alexiévitch, la fin de l’homme rouge

Gabriel Nadeau-Dubois et son équipe (Jean-Martin Aussant, Maïtée Labrecque-Saganash, Claire Bolduc, Alain Vadeboncoeur, et tous les autres) ne se sont pas trompés en allant rencontrer le peuple dans sa cuisine. La cuisine québécoise n’a pas de micros cachés ni de bocaux d’oignons sur le bord de fenêtre, mais elle a de commun avec la soviétique de virer, certains matins de la fin de semaine, franchement communautaire. On la réinvestit lorsqu’à la trentaine, on fonde famille, et que le brunch entre amis devient le cadre inévitable de notre sociabilité parsemée de petits bas et de miettes à terre. Continuer la lecture de Faut qu’on se parle

Lucila et le manifeste pour la neuro-diversité

« Les causes que l’on se donne nous accrochent à la vie », et Lucila y semble aujourd’hui bien arrimée, alors qu’adolescente au Pérou elle en avait frôlé les limites. De la côte Pacifique à l’île de Montréal, Lucila a fait du chemin. Brillante enfant solitaire et silencieuse, empruntée dans ses relations avec les autres et tourmentée par ses émotions qu’elle ne décode pas, elle brise la spirale mortifère de l’anorexie mentale et choisit de foncer dans le monde intellectuel qu’elle perçoit comme rassurant et plus fiable que le terrain mouvant des relations humaines. Continuer la lecture de Lucila et le manifeste pour la neuro-diversité

Le chemin des âmes

Encore une histoire d’amitié passionnelle et rivale, contée par un auteur aussi talentueux qu’Elena Ferrante dans l’art de nous tenir en haleine avec un entrelacs relationnel aussi vénéneux qu’éblouissant. Ce sont deux hommes, cette fois, qui s’épaulent, se provoquent et s’affrontent avec autant d’affection que de jalousie. Le théâtre en est tout autre, et si Naples des années 60 m’avait choquée par la violence sociale qui la réglait, les tranchées de la Grande Guerre annulent toute comparaison dans le degré d’horreur. Continuer la lecture de Le chemin des âmes

Demain

Demain ne pouvait pas échapper à mon escarcelle : c’est Altermontréal à l’échelle mondiale, porté sur les écrans. C’est maintenant au cinéma Beaubien et il faut courir acheter son billet d’avance sous peine de ne pas rentrer, à en juger par les interminables files d’attente tous les soirs, même avec des horaires aussi inadéquats que ceux adoptés par le cinéma (18h45 ou 21h30, franchement!). Bon, il faut supporter les roucoulements d’approbation du troisième âge, mais je les préfère au crépitement du pop corn, alors allons, allez! Continuer la lecture de Demain

Rebelle

C’est le réalisme de Rebelle, de Kim Nguyen, qui a planté ce film dans mon coeur. Il ne veut plus en repartir, alors l’écriture relâchera peut-être un peu l’étau qui m’étreint depuis.

RebelleC’était la deuxième fois que je l’empruntais à la bibliothèque. La première fois, la jaquette m’a regardée depuis mon étagère, et j’en avais peur. Je me sais très impressionnable, encore plus depuis que je suis mère, alors supporter des scènes d’exécution de et par des enfants, des viols et des vies écrabouillées, je ne m’en sentais pas capable. Continuer la lecture de Rebelle