Demain ne pouvait pas échapper à mon escarcelle : c’est Altermontréal à l’échelle mondiale, porté sur les écrans. C’est maintenant au cinéma Beaubien et il faut courir acheter son billet d’avance sous peine de ne pas rentrer, à en juger par les interminables files d’attente tous les soirs, même avec des horaires aussi inadéquats que ceux adoptés par le cinéma (18h45 ou 21h30, franchement!). Bon, il faut supporter les roucoulements d’approbation du troisième âge, mais je les préfère au crépitement du pop corn, alors allons, allez!
Demain n’innove pas vraiment. Coline Serreau nous avait déjà offert un documentaire semblable et tout aussi emballant bien que très mal filmé en 2010, solutions locales pour un désordre global, produit par les mêmes d’ailleurs, mais la société n’était peut-être pas encore prête à lui faire le même accueil triomphal. Le succès du film de Cyril Dion (inconnu qui ne l’est plus) et Mélanie Laurent (actrice star en France qui met généreusement sa réputation au service de la cause) repose certainement sur la maîtrise des codes de la communication numérique par sa bande d’auteurs, représentants archétypaux de la génération Y, ceux qui font un ou deux enfants avec angoisse au vu des sinistres perspectives mondiales qu’on a tous dans un coin de la tête, ceux qui ont manifesté en 2002 contre Le Pen au second tour, ceux qui se sont indignés et ont occupé les places publiques ces cinq dernières années. Les mêmes qui nourrissent une certaine rancœur contre la génération précédente qui a raflé les bénéfices de la croissance sans la moindre arrière-pensée sur l’état de la planète qu’ils ont exploitée jusqu’à la dernière goutte de pétrole – très bientôt.
Ces bobos-là, donc, ont décidé de passer leur message autrement que par les prévisions catastrophistes qui inhibent et découragent plutôt que de mobiliser. Ils croient, et c’est le gros plus du film, que de répandre les initiatives existantes (objectif d’Altermontréal), de dessiner l’avenir en positif par ce que nous pourrons laisser à nos enfants et non par ce dont nous les priverons, d’insister sur les gains et plus sur les pertes, sera un levier efficace de mobilisation. Lorsqu’on s’arrête sur les carences et les ignominies de ceux qui ont le pouvoir, politique ou économique, les deux copulant souvent joyeusement, on ne peut que ravaler nos remontées acides et poursuivre, désabusé et écoeuré, notre petit bonhomme de chemin individualiste. Mais si, entre citoyens lambdas de bonne volonté, on s’allie, on récupère parcelle après parcelle le pouvoir dont la démocratie nous gratifie intrinsèquement, on mise sur ce qui est immédiatement disponible, dans notre cour ou devant notre porte, dans nos écoles ou à la maison, on peut retrouver un sentiment perdu de compétence et ébranler lentement la machine.
Le film fait l’éloge du local et du petit. Ça tombe bien, c’est la définition de notre milieu de vie à tous. C’est donc faisable, et après un rappel à glacer le sang du désastre à venir si on continue notre consommation suicidaire, la petite équipe menée par Dion-Laurent nous en apporte la preuve par un tour du monde des initiatives citoyennes réussies, capables d’être reproductibles partout et par nous tous, oui, par toi, qui me lis derrière ton écran, et de faire un appréciable effet boule de neige pour inverser la vapeur – demain.
On se promène dans les grands centres de tri des déchets à San Francisco, guidés par un contremaître aux dents du bonheur étincelantes, qui éprouve un plaisir presque sensuel à triturer son tas de compost qui sera répandu généreusement sur les cultures bio. On va et revient en Grande-Bretagne, où circulent des monnaies locales résilientes à tous les crashs financiers et où les groseilles et les tomates poussent dans les terres-pleins et les saillies de trottoir (le merveilleux réseau des incredible edible). On déambule dans Detroit où plus de 2000 jardins citoyens quadrillent les ruines de la croissance éteinte, où 700 000 pauvres sur les 2 millions d’habitants que comptait la ville n’ont pas eu le choix de s’atteler à la tâche de cultiver pour se nourrir, l’approvisionnement étant devenu impossible. On part en Inde dans un bled d’une propreté stupéfiante, où le maire, né intouchable, a su écouter ses administrés pour répondre au plus près de leurs besoins, stimuler l’économie locale (des femmes, notamment), scolariser tous les mômes, construire un habitat inter-castes avant de quitter ses fonctions pour ouvrir une académie des maires et former ses pairs à la démocratie participative.
Deux des solutions présentées m’ont particulièrement bluffée, toutes deux sises dans le nord de la France : l’entreprise Pocheco et l’expérience de permaculture sur 1000m2 de Charles et Perrine Hervé-Gruyer.
Le fondateur de Pocheco, usine d’enveloppes, a conçu non seulement un nouveau mode de production basé sur les énergies renouvelables où rien ne se perd et tout se crée et un respect des matières et des hommes à tous les niveaux (pour un arbre coupé pour fabriquer le papier, trois sont plantés, pour citer un exemple parmi tant d’autres), mais aussi un système managérial qui réduit considérablement les écarts de salaire (de 1 à 4, contre 1 à 100 en moyenne dans les PME françaises) et encourage la participation active de sa centaine d’employés. Son éconologie, heureux mariage de l’économie et de l’écologie, démontre qu’il est rentable d’être écologique, et ce à un horizon pas si lointain: un investissement initial de 10 millions d’euros rapportera 15 millions dix ans plus tard.
Du côté de la ferme des Hervé-Gruyer, la démonstration de l’efficacité de la permaculture (une agriculture où les espèces végétales et animales fonctionnent en symbiose avec des gains nets complètement déments) est faite par la luxuriance impressionnante de leur toute petite parcelle. Sous la vigne généreuse pousse le basilic, qui par son odeur éloigne les parasites des tomates qui l’abritent. La forêt-jardin est lourde de fruits, et les rendements au mètre carré explosent les rêves les plus fous des grandes exploitations. La culture de masse serait un mensonge dont on doit revenir.
Après l’agriculture urbaine et/ou à petite échelle, la production et la réduction de la consommation d’énergie avec, sans surprise, les villes scandinaves à l’avant-garde mais aussi la petite île de la Réunion qui voit dans l’énergie solaire la possibilité de réduire drastiquement sa facture énergétique salée due à sa situation, on passe à la démocratie, incontournable lieu de changement planétaire si les citoyens veulent bien s’en saisir, et à l’éducation, clé de voûte du système. Sans surprise encore, on se rend alors en Finlande, qui caracole au sommet de la pyramide PISA, où on voit d’heureux blondinets mais aussi immigrants se jeter dans les bras de leur directeur et se rouler gaiement par terre, microscope et fougère à la main. On déménagerait drette là-bas avec nos flos si leur hiver n’était pas encore pire que le nôtre, faible luminosité oblige.
Bref, chaque solution gagne à être découverte sur l’écran pour un émerveillement exponentiel et une envie pressante, à la sortie du cinéma, de prendre bêche et râteau pour sortir nos framboisiers dans la rue, d’interpeller nos élus dans les instances qui nous sont ouvertes mais qu’on boude par ignorance ou paresse, et de songer sérieusement à parler à nos voisins de la géothermie de ruelle.