Ariane connaît les différences de vitesse d’absorption d’une goutte de pipi sur une surface en microsuédine ou en micropolar, et peut en déduire la probabilité de devoir crémer les fesses de votre bébé. Elle planche activement sur un nouveau prototype pour nouveau-né. On jase du rôle du liniment dans l’encrassage, de gousset intérieur et de la compétition entre velcros et boutons pressions. Bref, on parle la même langue, celle des couches lavables. D’un choix marginal de granos qui maniaient avec plus ou moins de dextérité les épingles de sûreté, on est passés aujourd’hui à un marché mondial en pleine expansion, où les couches chinoises bio sur Alibaba concurrencent les confections québécoises qui jouent des coudes pour séduire les mamans écolos et responsables.
Nous sommes confortablement installées sur une petite banquette maison, sous une guirlande de couches multicolores, dans une grande aire ouverte où bourdonne majoritairement l’accent français. Fondé en 2010 avec l’appui de la SODER1 pour développer une alternative écologique aux couches jetables, Lange Bleu partage ses bureaux avec d’autres petites entreprises aux grandes ambitions sociales, solidaires et environnementales, dans Rosemont. La fine équipe de quatre étend graduellement son domaine de la lutte : de la location de couches lavables clé en main aux services de garde et aux particuliers, elle vise maintenant les CHSLD et les hôpitaux du grand Montréal. Petits et grands auront les fesses au sec en préservant porte-feuilles et environnement.
Lange Bleu voit grand et rêve large. Elle inscrit ses activités « dans une perspective de développement durable et d’économie sociale, visant une diminution des impacts sur l’environnement et la santé humaine, une plus-value sociale et un développement économique pour les populations et les territoires touchés par son action ». Chaque étape est rationalisée en fonction de ces objectifs et on traque le gaspillage sans relâche. Lange Bleu conçoit les couches avec les designers de ses deux entreprises partenaires montréalaises, Baccouche (pour les petits) et Innova (pour les grands). Baccouche en confie la fabrication à des mamans primo-arrivantes qualifiées, couturières dans leur pays d’origine. Elles sont ensuite ramassées et triées : jusqu’à récemment, les manutentionnaires et livreurs étaient choisis et encadrés par l’organisme l’Arrimage, qui accompagnent des individus en rupture dans leur réinsertion sociale. Le partenariat étant très exigeant, Lange Bleu s’en est temporairement éloigné, avec la volonté d’y revenir dès que possible selon des modalités améliorées. Les couches sales sont nettoyées sans chlore et redistribuées aux services partenaires.
Concrètement, pour vous lecteur, comment Lange Bleu peut vous faciliter la vie?
- votre enfant fréquente un des 40 services de garde affiliés (en grande majorité des CPE)? Ses foufounes s’égaieront joyeusement dans une couche lavable à sa taille, ramassée et lavée avec ses consœurs deux fois par semaine. Vous n’amenez qu’une couche jetable pour le dernier changement de la journée, et payez une trentaine de dollars par mois pour le service complet : location et entretien. Le bémol : pas très intéressant si vous avez déjà un kit complet à la maison que le service de garde refuse dans ses locaux, car le peu de couches utilisées en dehors de la garderie vous empêcheront de faire des brassées régulières, ce qui n’est pas terrible en matière d’entretien. Sans compter que vous payez chaque mois un lot qui ne vous appartient pas, en plus d’amortir le vôtre.
- vous attendez incessamment un enfant et vous vous interrogez sur l’adéquation de la formule couche lavable à vos besoins : vous pouvez louer un kit complet (couches, inserts et sac à couches) pour un mois et renouveler à votre rythme si ça vous plaît. La formule est économiquement avantageuse (environ 360$/année) si vous ne voulez qu’un enfant et que celui-ci est propre avant deux ans et demi. Dans tous les cas, vous bénéficiez pendant toute la durée de votre location de couches en excellent état et ajustées à la taille de votre enfant (cinq tailles disponibles, de la naissance à la propreté), ce qui n’est pas le cas d’un ensemble de couches achetées neuves à la naissance de votre enfant : même les plus modulables ne feront pas à un nourrisson, et ces couches évolutives n’assureront pas une étanchéité parfaite à certaines étapes de la croissance de votre bébé.
- vous avez déjà acheté un kit complet taille unique et n’avez pas envie de retrouver l’odeur des Pampers sur votre nouveau bébé encore parfumé au liquide amniotique : vous pouvez louer la taille naissance jusqu’à engraissement suffisant de la bête.
- vous voulez être propriétaire de vos couches : vous pouvez les acheter directement à Lange Bleu, au prix de 15$/couche nouveau-né, ou 23$/couche 3-24 mois. L’entreprise propose également des sacs imperméables, du liniment oléo-calcaire (produit d’hygiène compatible avec les couches lavables), des couches de piscine, des lingettes lavables…
- vos couches lavables sont encrassées? Plutôt que de suivre un aléatoire protocole de décrassage trouvé sur Facebook à base de Dawn/vinaigre de cidre/bicarbonate/javel/biffez la mention inutile, confiez votre stock identifié à Lange Bleu qui vous les rendra moins d’une semaine plus tard souples et blanches à un prix défiant toute concurrence (0,87$/couche, +0,43$ par insert supplémentaire).
- vous venez d’accoucher dans un hôpital du grand Montréal? Un projet pilote mené pendant dix mois à la Cité de la Santé a prouvé les avantages écologiques et économiques à intégrer les couches lavables dans les services d’obstétrique et de néonatalogie des hôpitaux qui fournissent habituellement les couches aux nouveaux-nés. Chaque mois, ce sont plus de 10 400 couches qui ne seront pas enfouies.
- quand on pense que 80% des déchets des unités de vie des CHSLD sont des protections souillées, on réalise l’impact environnemental que serait un service de location et entretien de culottes lavables adaptées aux besoins des aînés comme celui auquel travaille d’arrache-pied Lange Bleu. Le processus de Recherche et Développement va bon train, en partenariat avec Innova (vêtements adaptés aux contraintes physiques de la vieillesse et du handicap) et les étudiants en couture du CEGEP Marie-Victorin. J’imagine que le choix du réutilisable par un CHSLD en dit long sur l’esprit des lieux, et pèserait lourd dans la balance si je devais un jour en choisir un pour un proche.
Pour ceux qui objecteraient que les couches lavables constitueraient une régression anti-féministe, je répondrai que l’entretien des couches, qui ne doit pas être l’apanage de la mère, prend chez nous moins de temps que l’acquisition, l’entreposage et le traitement des couches jetables – la bonne conscience en plus.
Les couches en chiffres
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un pays comme la France (65 millions d’habitants) produit annuellement 351 000 tonnes de couches jetées, pour un coût de traitement de 21 millions d’euros .
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pour un seul enfant, les couches jetables représentent 4,5 arbres, 25 kg de plastique obtenu grâce à 67 kg de pétrole brut (une tasse de pétrole par couche), 6500 couches jetées aux ordures ménagères, non valorisables, et qui mettront jusqu’à 500 ans pour se décomposer.
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utiliser des couches lavables pour un enfant permet d’économiser 450 à 2000$ sur deux ans et demi, achat et entretien compris, entre 700 et 2700$ pour la naissance d’un deuxième enfant.
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la production et l’utilisation de couches lavables consommeraient 3,5 fois moins d’énergie et 2,3 fois moins d’eau que les couches jetables.
1Société de Développement Environnemental de Rosemont