S’opposer au projet GNL Québec: mémoire déposé au BAPE

Invitée par Greenpeace à communiquer mon opinion au sujet du gigantesque projet GNL Québec, qui consiste à exporter du gaz albertain extrait par fracturation hydraulique en 3 étapes : (1) construire un pipeline de 782 km entre l’Ontario et le Saguenay, (2) construire un terminal méthanier servant à liquéfier le gaz et (3) exporter le gaz par méga navires méthaniers à travers le Fjord du Saguenay et le fleuve Saint-Laurent, je viens de déposer ce mémoire au secrétariat de la commission d’étude du projet, ouverte dans le cadre du Bureau d’Audiences Pour l’Environnement (BAPE).

Aux commissaires du BAPE

Mesdames, messieurs,

Citoyenne alerte et engagée, mère de trois petits enfants dont l’avenir m’inquiète terriblement, je vous écris pour conjurer un peu l’impuissance qui me saisit autant qu’elle me révolte lorsque j’assiste à la mise en branle de projets aussi anachroniques et dangereux que celui de GNL Québec.

Intriguée par la stratégie agressive et mensongère d’Énergir, subventionnant littéralement le passage de l’hydroélectricité au gaz dans un courrier personnalisé qu’ont reçu tous les commerçants de mon quartier, je me suis mise à faire des recherches sur l’industrie du gaz en Amérique du Nord. Ma formation universitaire m’a permis de faire une revue de littérature étendue, que j’ai poussée en appelant directement les scientifiques œuvrant dans le domaine au Québec (Normand Mousseau, Marc Brullemanns, Louis-Étienne Boudreault, Bernard Saulnier…). J’ai été effarée d’apprendre qu’en dépit de toutes les révélations et recommandations du GIEC et autres groupes de chercheurs en climatologie, le Québec, pourtant doté d’un capital hydroélectrique phénoménal qui pourrait le propulser en chef de file de la transition énergétique dans le monde, travaillait à développer son industrie du gaz. Parmi les arguments les plus utilisés : le gaz est une énergie plus propre que le charbon, et de plus en plus de gaz naturel renouvelable circulera dans les tuyaux.

Ces deux arguments sont irrecevables et ont contribué à décrédibiliser à mes yeux tout le projet GNL :

1) la consommation de charbon au Québec est négligeable. Rien à voir avec celle de la Chine ou des États-Unis. En 2013, le charbon fournissait 0.7% des besoins en énergie du Québec, contre 37.3% pour l’hydroélectricité, 39.7% de produits pétroliers, 14.9% de gaz naturel et 7.4% de bioénergie1. Quelles économies de GES pourraient donc représenter la conversion au gaz au Québec? Dérisoires. Quant aux exportations projetées vers des pays consommant encore beaucoup de charbon, pour l’instant, aucun contrat n’a été signé par la compagnie (rappelons enfin que les deux propriétaires du projet, Freestone international et Breyer Capital, sont américains et étroitement liés au parti républicain), et je ne vois pas comment la transformation puis le transport de ce gaz liquéfié par cargo carburant au pétrole à l’autre bout de la terre pourraient représenter un progrès substantiel à l’échelle mondiale (90% des GES générés par cette usine seront émis hors du Québec. Nous n’avons qu’une planète, considérons-la comme unité). Construire cette usine de liquéfaction de gaz pour exportation nécessite, bien sûr, de la raccorder au réseau gazier continental. Au-delà de la finalité, très problématique, de cette usine, les travaux gigantesques vont massacrer des écosystèmes dont la survie est étroitement corrélée à la nôtre : ce n’est plus un secret, c’est une évidence. Tout ça pour des profits économiques, sans aucune considération environnementale? Nous ne sommes plus au 20e siècle!

2) le pourcentage de Gaz Naturel Renouvelable est présentement de moins de 1% (la cible visée pour 2025 est de 5% – voir document sur la politique énergétique 2030). Les 99% restants sont massivement importés des États-Unis, où la production est non seulement basée sur des procédés aussi polluants et problématiques à de multiples niveaux comme la fracturation hydraulique (85% du gaz lié à ce projet), mais elle est également transportée avec d’innombrables fuites de méthane, gaz trente fois plus nocif que le CO2, sur des milliers de kilomètres. La bio-méthanisation est balbutiante au Québec et sert d’arbre qui cache la forêt.

En prenant en compte toute la filière d’exploitation de cette hydrocarbure fossile, le bilan carbone de cette industrie serait calamiteux. À lui seul, ce projet va générer annuellement 50 mégatonnes de GES, soit l’équivalent de 10 millions de voitures supplémentaires par an sur nos routes2!

Crédit Coalition Saguenay

Le gaz naturel est une énergie fossile et suivant les recommandations du GIEC, il nous faut renoncer à l’extraire. Oui, on est assis sur un tas d’or, mais celui-ci nous fait griller à petit feu : élévons-nous un peu, confrontons notre déni, et laissons les hydrocarbures là où elles sont.

Bref, je ne vois pas comment Québec peut raisonnablement et éthiquement se lancer dans un projet pareil au regard de sa responsabilité vis-à-vis des générations futures. Les pays qui tireront leur épingle du jeu, à moyen terme maintenant car les projections les plus précises (et effrayantes) parlent de 2030 ou 2050, seront ceux qui se sont engagés, maintenant, avec le plus de vigueur dans des politiques énergétiques, économiques et sociales basées sur la sobriété et le sevrage des énergies fossiles. Visiblement, le Québec ne sera pas parmi eux, malgré son potentiel énorme. La propension des gouvernants à nier cette réalité à des fins économiques de courte vue ne cessera de m’étonner.

Pensez-y bien : nos enfants nous accuseront, et, avant eux, nous souffrirons à notre tour des dérèglements climatiques que nous aurons entretenus et accélérés, et qui détruisent depuis des décennies les populations les plus vulnérables entre les deux tropiques.

Victorine Michalon

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