À la faveur d’une grève interminable dans les écoles du Québec, mettant en péril ma santé mentale, j’ai renoué avec la natation. Elle n’est pas très fringante, la piscine du bout de ma rue. Les vestiaires sont aveugles et le savon rose coule le long du mur. Le brun est omniprésent, les joints douteux. Des carreaux manquent aux plinthes, les pentes sont ratées, ou affaissées par l’usage – les flaques sont partout. Continuer la lecture de Aux bains publics
Archives par mot-clé : relations
corps à corps
Voici le texte intégral d’un de mes articles publié par le Devoir en février 2022. Je répondais alors à un appel à récits sur le thème du « corps pandémique », qui m’a conduite à réaliser la prépondérance de mon expérience corporelle de l’immigration sur celle de la pandémie et son lot de désincarnation et de restrictions.
Le corps immigré et le corps pandémique se battent en duel. Dans la compétition des souffrances, la joute est serrée. Le corps immigré triomphe d’abord, il est expérimenté. C’est naïf, presque attendrissant : il devient suffisant et moque le désarroi des corps pandémiques conviés brutalement à sa table. L’absence harcelante des corps aimés, les rituels manqués, les anniversaires sur zoom. Les enfants qui grandissent trop vite et trop loin de leur parenté. Mais le partage s’arrêtera là. Continuer la lecture de corps à corps
Chronique de Petrozavodsk
La pluie qui fouettait violemment les vitres et les noyait de grandes coulées obliques ralentit puis s’arrête avec le train. Le quai fumant d’humidité nous reçoit. On secoue nos corps engourdis. Je me retourne sur les paumes et les nez pressés contre la fenêtre, ceux-là poursuivent jusqu’à Moscou. Les proportions du hall de gare, avec ses colonnes de marbre dont je ne peux même pas embrasser la circonférence, sont démesurées. Décalées. On ne se bouscule pas à Petrozavodsk. Continuer la lecture de Chronique de Petrozavodsk
Chronique insulaire
Le jeune type n’en démord pas et cherche le soutien de ses amis, qui ne bronchent pas. Sa Grande Guerre Patriotique et notre Seconde Guerre Mondiale, ça ne peut pas être la même, et si notre jeune compagnon bavarois parle si bien le russe, c’est parce que l’URSS a longtemps occupé l’Allemagne. Les repères temporels et géographiques se télescopent manifestement dans sa tête. A l’Ouest, les derniers témoins de la guerre, quel que soit le nom qu’on lui donne, s’éteignent avec leurs souvenirs. En Russie, elle a toujours le monopole de l’héroïsme et du tragique. Son évocation persistante fait beaucoup plus de bruit que les manœuvres périodiques dans le Caucase. La victoire et son coût, vingt-cinq millions de morts, font régulièrement irruption dans le discours, et nourrissent le nationalisme ambiant. Continuer la lecture de Chronique insulaire
Chronique du train
Premier volet d’une trilogie russe, composée au gré de mes pérégrinations dans ce pays cher à mon coeur. Quelque part, l’âme slave me nourrit, d’une forêt boréale à l’autre.
A chaque wagon son contrôleur. Je jauge celui qui sera le gardien de notre nuit. L’espoir retombe lorsque le visage est aussi juvénile que celui des lycéens qui poussent des cris de guerre sur le quai. Leurs sacs bardés de piolets les dépassent d’une tête, probablement un trek dans la péninsule de Kola. Mais notre officier affiche une certaine fermeté et, sur le poing gauche, le tatouage des prisonniers russes. Les gangs de détenus gratifient ainsi leurs membres d’une sorte de sceau carcéral, propre à chaque bande : signes cabalistiques, volutes celtiques, devise cryptée…deux kopecks se chevauchent entre le pouce et l’index de notre homme. Continuer la lecture de Chronique du train
7 conseils pour parler du coronavirus avec les enfants
Nous y sommes. La crise climatique tenait déjà nos nerfs bien occupés, on n’avait pas vu venir la pandémie. Pourtant, les historiens, démographes et épidémiologistes savent que chaque siècle s’en claque une belle. Personne, au Canada, peut nous transmettre ses recettes de résilience. La crise du verglas risque d’être de la petite bière par rapport au coronavirus. Les réfugiés auraient beaucoup à nous apprendre, si on ne les laissait pas croupir si nombreux dans des camps insalubres où il va faire des ravages.
Nous y sommes, donc, en état de siège, à attendre l’œil du cyclone, et nos enfants aussi. Impossible de les épargner : un nombre croissant d’entre nous est avec eux 24/7, pour une durée indéterminée (non, ça ne durera pas deux semaines) et pas moyen de les refourguer aux grands-parents, quand ceux-ci, en temps normal, sont proches et disposés à nous seconder. Continuer la lecture de 7 conseils pour parler du coronavirus avec les enfants
Brexit: cette Europe qui vit en moi
À Christoph, Tatjana et Daniel
Vendredi matin, je reçois ce message consterné de mon ami Christoph : Brexit : ça y est. Allemand francophile, il travaille à la Banque Européenne de Développement à Londres.
![](https://i0.wp.com/altermontreal.com/wp-content/uploads/2020/02/IMG-20200131-WA0000.jpg?resize=225%2C300)
Nous pourrions ressentir une forme de soulagement, qu’après trois ans de détestables rebondissements, meurtre de la députée travailliste Jo Cox, démissions, joutes verbales populistes, le divorce soit enfin signé. Nous y voyions, comme bien d’autres, le produit de polarisations sociales autour de crispations identitaires, et un repli sur soi de mauvais augure. Continuer la lecture de Brexit: cette Europe qui vit en moi
5 leviers pour atteindre la neutralité carbone
La crise environnementale et nous
Si vous lisez ces mots, c’est que vous êtes déjà convaincus que notre civilisation se trouve devant la plus grande menace de tous les temps, bras-de-fer et jeux nucléaires exclus. Vous avez peut-être même poussé le zèle jusqu’à lire le rapport du GIEC (ici dans une excellente vulgarisation) qui pronostique un réchauffement cataclysmique de 3-4° à la fin de ce siècle. Autant je trouve parfaitement répugnant d’accabler les individus du fardeau de résoudre une crise aussi systémique que celle que nous vivons aujourd’hui sur le plan environnemental, autant en rejeter toute la responsabilité sur les détenteurs des pouvoirs économiques et politiques me semble irresponsable. Continuer la lecture de 5 leviers pour atteindre la neutralité carbone
Solon
La grande murale avec la girafe à l’envers et son chapiteau de cirque donnant sur Beaubien, entre Chabot et de Bordeaux? C’est là. Un attroupement au milieu de la ruelle, la presse caméra et bloc-notes au poing, le maire d’arrondissement François Croteau toujours swaggé, et un grand soleil.
Nous sommes mercredi 20 avril, c’est (enfin) le printemps, et avec les crocus et les bedaines bourgeonnent les bonnes nouvelles : Rosemont-La-Petite-Patrie, toujours partant pour les projets verts, humains et audacieux, apportera sa caution morale et financière au collectif Solon pour lancer leur étude de faisabilité à 100 000$. Continuer la lecture de Solon
Nataq – la naissance comme salut
J’ai eu la chance d’être introduite au Québec par un de ses meilleurs représentants, Richard Desjardins, par l’intermédiaire d’amis décidés à me faire traverser l’Atlantique – et ils y ont réussi! Fortement imprégné de sa culture ouvrière d’origine, cinéaste, auteur-compositeur, chanteur et militant acharné, Richard Desjardins défend avec un parler coloré les petites gens, les minorités, les oubliés de la croissance, les désastres écologiques et les marginaux. Continuer la lecture de Nataq – la naissance comme salut