J’ai arrêté l’école à la fin du primaire parce que mes parents étaient trop pauvres pour payer. Et je dois à l’insistance de ma mère d’y avoir été, parce que les filles, normalement, on les garde à la maison. J’ai eu mon certificat et puis ça s’est arrêté là. J’étais admise au lycée, mon père avait accepté de m’y inscrire, et quand il est parti pour s’acquitter des frais, il s’est arrêté en chemin boire une bière. Dans le bar, on l’a découragé d’aller plus loin, ça ne va pas, si ta fille va au lycée, elle en reviendra enceinte, et elle ne s’occupera plus de toi! Mon père a rebroussé chemin. À la maison, on a fait une petite fête, on a mangé du riz, c’était le plat des grands jours. Il avait payé le riz avec mes frais d’inscription. Mange le riz, tu ne vas plus à l’école. Moi qui rêvais de devenir fonctionnaire de l’administration, j’étais terriblement déçue. J’ai pleuré.

J’avais un oncle qui était cuisinier chez les religieuses, au pensionnat St Camille à Ouagadougou. Il m’a proposé d’entrer au centre ménager, je ne voulais pas, je voulais travailler dans un bureau. Il m’a dit, tu n’as pas le choix. Et je me suis formée en coupe/couture. Mon oncle m’a encouragée tous les jours. J’ai appris le tissage, la couture, la broderie, le tricot.
J’ai fait des nappes et je me suis aperçue que ça se vendait très bien sur le marché. J’ai gagné de l’argent et avec, j’ai payé la formation de ma petite sœur pour qu’elle ne soit pas donnée en mariage forcé.
Les parents font ça pour avoir une charge en moins, ils donnent leur fille et leur beau-fils leur donnera un jour un sac de riz ou de maïs. C’est comme ça.
Après mon mariage, à 20 ans, j’ai encouragé les femmes, les voisines, à broder chez moi après les tâches quotidiennes. On a fait des petites culottes, des robes pour les petites filles. Ça marchait bien. Ça plaisait sur le marché. Mais la formation coûte cher. Alors j’ai formé gratuitement. Le savoir, il faut le partager. Et c’est comme ça que tout a commencé. Par un petit feu…

Mon association soutient aujourd’hui plus de 400 personnes. L’avenir dépend des femmes, il faut les former. Au début il y avait de la résistance des maris, ils ne voulaient pas que leurs femmes portent la culotte, comme moi! Mais maintenant ils voient bien que ça marche, il viennent me demander de former leurs épouses. Elles vivent de ce qu’elles ont appris chez nous. Les femmes travaillent dehors, sous de grands hangars, avec des machines à pédale. On a trop de coupures de courant et puis l’électricité coûte cher. On a une infirmerie. Moi, quand je vois arriver quelqu’un de malade, je ne peux pas refuser. On a une cantine, les femmes se relaient par groupes pour cuisiner. On fait manger les petits qui vont à l’école d’à côté parce qu’on sait qu’il n’y a rien à manger chez eux. Au moins, ils ont un repas par jour. Comment peux-tu apprendre le ventre vide?
Les pauvres ne peuvent pas se payer d’uniforme scolaire, alors on le leur donne. Sinon, dans la classe, leur pauvreté les distingue. Beaucoup n’ont jamais vu de télévision. Quand ils s’approchent d’une maison qui en a une, la porte se ferme devant eux. Alors chez nous, à une certaine heure de la journée, on leur montre des dessins animés.

Ils viennent de partout, les déplacés. Ils n’ont rien. Et les étudiants qui sont désespérés, qui ne savent pas si leurs parents à la campagne sont vivants ou morts, qui ne trouvent plus le sommeil, qui n’ont plus d’argent pour se loger ou se nourrir, j’en aide une cinquantaine. On les a formés, et à chacun, on a donné un métier à tisser et du fil pour se lancer. Je ne peux pas soutenir tout le monde! Ils viennent de petits villages dans tout le pays.
Leurs parents ont disparu. Quand tu fuis dans la précipitation, tu perds tout, même ton téléphone, après, comment te retrouver?
Un jeune est retourné dans son village à la recherche de ses parents. On lui a dit qu’ils étaient tous morts. Toute sa famille. Il s’est pendu là-bas.
Sur les photos on voit des corps allongés. Ce sont des gamins! Ils ont 13, 15 ans. On leur promet un business, 300 000 francs CFA par mois, quand un mécanicien en gagne 50 000. Alors ils partent tout de suite. Sans avertir la famille. Une fois là-bas, chez les djihadistes, ils sont piégés; s’ils s’échappent, on les fusille.
Les hommes envoient leur famille en ville. Les femmes partent à pied, avec leur âne et leurs gamins, sans rien. Une fois en ville, elles se retrouvent à la rue. Elles font des petites cabanes mais la pluie balaie tout.
Un groupe de femmes partait ainsi à travers brousse quand l’une d’elles a dû rebrousser chemin pour récupérer quelque chose dans sa case. Une fois chez elle, elle a entendu quelqu’un approcher, alors, vite, elle s’est cachée derrière un canari, le gros pot en terre où on garde le grain. Qui a-t-elle vu rentrer? Son mari. Il s’est changé, a passé une cagoule de terroriste, et il est reparti. Elle n’a pas osé sortir de sa cachette. Elle avait trop peur qu’il la tue. Quand elle a rejoint les femmes, elle leur a dit, vous savez qui sont les terroristes qui assaillent nos villages? Ce sont nos maris.
Des villes sont assiégées par les terroristes. Affamées par le blocus. Si une femme essaie d’aller ramasser du bois dans la forêt, elle va être violée. Par tout un groupe de soldats. Comment vivre après…
Chez moi, j’accueille deux nièces. Une du côté de mon mari, et une qui a assisté ma mère au village jusqu’à sa mort. Pour la remercier, je l’ai prise à la maison. Elle avait été donnée en mariage à un homme qui avait l’âge de son père, et déjà deux-trois femmes de l’âge de sa mère. Elle a 17 ans. Alors un jour je suis venue la chercher en voiture. La famille n’est pas contente, le futur mari non plus, mais tant pis, maintenant elle est là. On la forme à l’atelier. Elle prend les cours du soir. Une fois éduquée, je sais qu’elle va avoir le courage de dire non. On ne pourra plus la marier de force. Je le sais. Elle a pris soin de ma mère, je lui dois ça.

Je vois des gamines qui travaillent dans des bars. Je leur dis de venir se former chez moi, de préparer leur avenir. Elles me disent, mais tantie, qu’est-ce qu’on va manger ce soir? Leur maman n’a pas le choix que de les envoyer travailler. Mais les filles, si elles commencent dans les bars, elles vont y rester. On va les exposer aux dangers, elles vont se vendre pour se nourrir.
Oui, il y a la pauvreté, mais il y a notre dignité aussi, et il ne faut pas la bafouer. Tu as tes dix doigts, tu as tes yeux. Apprends un métier, même si tu n’es pas allée à l’école. Il ne faut pas avoir peur d’affronter la vie, de prendre cinq francs pour que ça devienne dix francs.
Je suis en voyage d’affaires et je rentre bientôt au Burkina. Ils m’ont appelée, quand est-ce que tu reviens? On a faim! J’ai formé des équipes, j’ai un adjoint, un homme, mais je coordonne à distance.
J’ai dû me battre contre tous. Je leur ai tenu tête, même au ministre de la Femme. Je lui ai dit, ce n’est pas bien ce que vous faites. Moi j’ai 100 votes derrière moi. Ça me donne du poids. Quand j’ai été élue présidente de la chambre régionale des métiers de Koudougou, je n’y connaissais rien, mais ils ont tous voté pour moi. On sait, on voit ce que tu fais. Les autres, ils promettent mais ne font rien. Les politiciens sont venus me voir, et j’ai tout refusé.
Non merci, je préfère vivre à la sueur de mon front que d’accepter vos cadeaux empoisonnés. Je n’accepte aucun fonds du gouvernement, je suis neutre et je le reste. C’est le prix de mon intégrité. On m’aide de partout, partout les portes sont ouvertes, et si une porte est fermée, je cogne à côté.
Pour voir un extrait de son catalogue, c’est par ici.
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